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Les langues, ligne de clivage du « village global »

February 23, 2017 Articles, Media / Op-ed

La mondialisation devrait sceller la prédominance de l’anglais et du mandarin. Pourtant, l’influence d’autres langues – dont le français – demeure. Si le nombre global de langues tend à diminuer, le multilinguisme monte en puissance. Et une nouvelle ligne de partage se dessine entre espaces polyglottes et territoires mono-linguistiques.

« Si un extra-terrestre débarquait sur terre, quelle langue lui permettrait d’entrer pleinement en relation avec le genre humain ? ». Ce petit détour par l’absurde est au principe de l’étude en forme de classement1 qu’a menée pendant six mois l’économiste montréalais d’origine cantonaise Kai L. Chan sur l’influence des langues dans le monde. De prime abord, la réponse semble aller de soi. Le martien en villégiature terrestre n’aurait aucune chance de communiquer sans le secours de l’anglais.

Dans tous les principaux domaines de référence qui ont servi à cette évaluation (géographie, économie, communication, savoir et média, diplomatie), la langue de Shakespeare conserve son indéfectible premier rang. « Le monde converge vers un équilibre où l’anglais tient le rôle de lingua franca », rappelle Kai L. Chan. « On le voit, par exemple, dans les transports en commun japonais où les annonces et la signalisation se font aussi en anglais. Et de nombreux pays suivent le mouvement pour s’“internationaliser” à leur tour. » Cette toute-puissance de l’anglais n’est pourtant pas sans paradoxe. Le nombre de ses locuteurs naturels se situe autour de 450 millions de personnes, derrière l’espagnol (20 millions de plus) et très en-deçà du mandarin, transmis dès la naissance à 900 millions d’individus.

Le nombre et l’influence

La géopolitique des langues n’obéit pourtant pas toujours à la loi du nombre. Une chose est l’importance numérique d’une langue. Une autre, son influence réelle et sa capacité à attirer de nouveaux locuteurs. C’est là que le français créé la surprise. Forte, selon l’Observatoire de la langue française (OLF), de 274 millions de locuteurs en 2014, la langue de Molière en compterait 700 millions à l’horizon 2060 A cette échéance, 9 francophones sur 10 résideront sur le continent africain, dont la population atteindra alors le milliard d’individus.

Dakar, au Sénégal : l’un des pôles de croissance démographique de l’Afrique francophone au cours des décennies à venir .

Soutenu à terme par la démographie africaine, le français bénéficie également d’une très bonne diffusion. Il apparaît, en 2015, au deuxième rang des langues les plus apprises au monde et au quatrième des langues les plus utilisées sur Internet. L’Union européenne constate même que son apprentissage dans les collèges européens a progressé de 30 à 34 % entre 2005 et 2012. A Chypre, il est enseigné à 91 % des élèves. De quoi talonner le mandarin et faire pièce à l’anglais tout-puissant ?

Sur ce point, les pronostics divergent. Si Kai L. Chan situe dans son étude le français en troisième position des langues les plus influentes, il lui prédit un léger recul… au moment même où le nombre de ses locuteurs augmentera. « En 2050, le français devrait passer derrière l’espagnol, tandis que le portugais et l’hindi progresseront au détriment du japonais », affirme le chercheur canadien. Malgré l’importance géopolitique de la Chine, le mandarin garderait, quant à lui, un réservoir de locuteurs potentiels limité, vu sa difficulté d’apprentissage pour une population mondiale où domine l’usage de l’alphabet latin.

 

Espaces multilingues privilégiés

Parmi les quelque 6 000 langues parlées dans le monde actuellement, plus de 2 000 ont moins d’un millier de locuteurs. L’Organisation internationale de la francophonie (OIF) table sur la disparition d’au moins la moitié d’entre elles d’ici à la fin du 21e siècle. La liste des langues influentes se resserre. Aujourd’hui, dix seulement sont pratiquées par plus de 100 millions de personnes. Dans un monde que recomposent les mouvements migratoires et l’extension des mégalopoles, faut-il s’attendre à voir converger l’humanité vers un « parler » commun ? Pas si sûr. Ou pas tout de suite.

Au Timor Oriental, 2 langues officielles (le tétoum et le portugais) cohabitent avec une vingtaine de langues vernaculaires sur un territoire 45 fois plus petit que la France.

L’immigration constitue certes un puissant facteur d’assimilation linguistique. Au Canada officiellement bilingue, note l’OIF, un quart de la population pratique le plurilinguisme au quotidien. En France et aux Etats-Unis, seul un citoyen sur cinq utilise deux ou plusieurs langues dans la vie de tous les jours. Pour autant, remarque Kai L. Chan, « les nouvelles technologies et les systèmes de traduction simultanée permettent aussi à des populations émigrées de conserver la pratique de leur langue native. Par ailleurs, ces populations continuent de consommer massivement de la musique ou du cinéma dans leur langue d’origine. C’est aussi ce qui encourage la coexistence de cultures, et donc de langues, différentes dans un même espace. »

Pour le chercheur canadien, cette coexistence participe d’un nouveau clivage entre des espaces mondialisés – à la fois places fortes financières, sites universitaires et foyers migratoires importants – et des territoires en marge du « village global ». En effet, « même si la langue d’origine tend à s’effacer au profit de celle du pays d’accueil dès la deuxième génération, (une famille d’émigrés installée à) Manhattan a et aura beaucoup plus en commun avec un parisien, un moscovite ou un hongkongais qu’avec un agriculteur du Kansas », estime-t-il. « Et l’un des enjeux pour nos sociétés, où de nouvelles générations parleront plusieurs langues, sera justement de convertir le multilinguisme en atout. »

1 – A partir de ce classement, Kai L. Chan met actuellement au point avec le professeur Jia Yuan YU, de l’Université Concordia (Montréal), un programme de simulation informatique d’évolution des langues.

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